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Madame Fatou Sow et l'université Cheikh Anta Diop de Dakar

Madame Fatou Sow et l'université Cheikh Anta Diop de Dakar

    Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je dois me montrer reconnaissant envers l’Institut historique allemand car il me permet régulièrement de suivre modestement l’exemple de mon illustre confrère Günter Wallraff qui s’était fait une spécialité d’être là où on ne voulait pas de lui. C’était une situation très particulière car normalement les journalistes sont très bien vus en Allemagne, ce grand pays démocratique. Mais ceux qui connaissent Günter Wallraff et son fameux livre “Tête de Turc” (Ganz unten) verront que la comparaison s’arrête là car le danger que je représente pour l’Institut relève de la plaisanterie. En fait, on m’y considère surtout comme un danger pour ce qui pétille éphémère dans leurs flûtes festives, plus que dans l’esprit qui leur croque des traits inamissibles mais dont ils ignorent probablement jusqu’à l’existence. La situation est plutôt comique, autant que les formules de courriel que leur créativité leur inspire pour m’écarter par tous les moyens, quelques morceaux choisis d’une collection de tournures façon 19ème siècle dont je vous épargne ici l’énoncé mais qui pourraient être retenus comme exemples de l’humour allemand.

    Alors, au risque que mon objectivité ne soit plus incontestable eu égard aux circonstances, je dirais que cette conférence annuelle de l’Institut historique allemand, du 18 octobre, n’avait strictement rien d’historique. La conférencière, Mme Fatou Sow, était d’ailleurs une sociologue, enseignante à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar,  mais je ne classerais pas non plus ce qu’elle a présenté dans la sociologie. L’Intérêt se situerait plutôt dans la sémantique. Les deux premiers mots du titre, “Genre et fondamentalismes : le débat dans l’Afrique contemporaine” ne renvoient pas à ce qu’on entend généralement par là. Le genre, calque de l’anglais “gender” dans sa nouvelle acception renvoie a des dizaines (jusqu’à 72) références : masculin, féminin, homo, bi, trans... etc, jusqu’au “genre fluide” qui les contient toutes. Dans la présentation de Mme Sow, il s’agissait exclusivement du genre féminin, que l’on pourrait simplement appeler “la femme” ou “les femmes”. Quant aux fondamentalismes, on pourrait parler au singulier “d’obscurantisme” ou “d’oppression”, en tout cas ils sont qualifiés de “menace” (pour la femme évidemment) qu’il s’agisse du fondamentalisme musulman ou chrétien... catholique ou évangélique (peut-être le pire), ou encore du mal défini “fondamentalisme radicalisé”. Les autres religions ne sont pas citées, mais il est dit en revanche que le respect aveugle des traditions produit aussi des fondamentalismes culturels. Mais en même temps ces concepts sont contestés en Afrique parce qu’ils sont trop occidentaux. Le genre, capturé par l’ONU, perd son sens (mais lequel ?). Enfin le féminisme, qui ne pouvait rester absent du débat, est remis en question en Afrique, où l’idée qu’une femme puisse disposer de son corps, choque !  –  une féministe africaine est visiblement une femme occidentalisée. Et puisque chacun sait les dégâts causés par le colonialisme, chacun comprendra que l’identité africaine est une denrée rare, donc “si je conteste la culture africaine je ne suis plus moi-même”. Mais en même temps le problème est mondial, puisque les fondamentalismes chrétiens frappent en Amérique du Nord, le christianisme a failli être reconnu par l’Europe ou des dérives religieuses se manifestent, comme en Pologne et même jusqu’en Israël. Les femmes subissent des pressions de la part de lobbies, des prêtres (sans précision... en Afrique ou ailleurs) se sont même coalisés contre les droits des femmes, donc vu la gravité de la situation on peut laisser tomber “le genre” et revenir au fondamentaux. Il semble clair cependant qu’entre le marteau des fondamentalismes et l’enclume de la tradition africaine, la situation des femmes, disons même de “la femme” n’est pas facile.                

    Donc, loin d’être de l’histoire, cette conférence traitait de l’actualité sociétale la plus brûlante, mais sans en faire une analyse véritablement sociologique puisque les enjeux alignés sont principalement politiques. C’était pour l’essentiel, un discours militant, et d’ailleurs, aussi bien, Mme Sow expliquait qu’elle ne distingue pas entre l’activité de recherche et la pratique militante (Cheikh Anta Diop aurait vraisemblablement pu en dire autant). C’est sans doute dans cet esprit, qu’en remerciant en préambule l’Institut historique allemand de son aimable invitation, elle a déclaré à son directeur : “je vous invite à inviter d’autres Africains.”

Frédéric Sausse

Tag(s) : #Article de presse
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