Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Amira dans tous ses états

Amira dans tous ses états

    Amira Willighagen s'est révélée en diva, avec une voix au timbre prenant, saisissant, dès huit ans, en autodidacte. C'est à peine plus tard, à neuf ans et demi qu'elle s'est fait connaître bien plus largement dans un télé-crochet (Holland's Got Talent), remporté contre nombre de concurrents aussi talentueux que valeureux, au grand étonnement du jury et du public, dès les toutes premières notes de son chant. Elle chante des arias d'opéras ou des mélodies (tonales !) d'auteurs et d'époques diverses, d'Ennio Morricone à Jean-Paul-Égide Martini, "Plaisir d'amour" 1784... Et en plus de la voix, il y a la ferveur, l'implication totale dans le chant, elle chante souvent les yeux fermés. Mais c’est surtout ce timbre exceptionnel, enchanteur dès les toutes premières notes entendues. Sur Internet, le nombre des vues fut très vite impressionnant, dépassant les cinquante millions peu après ses débuts de fin 2013, puis actuellement les cent millions ou plus. Une tentative d'explication ? On sait que la voix chantée caractérise chacun d'une façon unique. Le timbre dépend largement de l'anatomie : non seulement la gorge c'est à dire les cordes vocales, le larynx et le pharynx, mais aussi toutes les cavités accessoires de la tête : la bouche (avec la langue), les cavités nasales ; les poumons à inclure pour le souffle. Chez Amira, pour moi comme pour d'autres, il semble que ce soit une richesse spécifique en harmoniques.

    Faute de connaissances en analyse de signal (analyse de Fourier), d'équipement technique (oscilloscope, ordinateur) et du savoir-faire, je me contente de cette appréciation subjective, confortée par M. Manzoni et M. Dafydd Llewellyn dans les commentaires Youtube. Il faudrait la disponibilité de la voix d'Amira a cappella pour éliminer tous les autres sons qui parasiteraient l'étude technique. Impression ressentie de sa voix : un aigu pur et très beau, une sorte de friselis, d'irisation agréable dans les sons les plus aigus, sans jamais être criard ni “scie” ; le reste de son ambitus est chaud et velouté, plus encore avec sa voix de soprano adulte. Autre note de M. Manzoni : "Si vous écoutez avec des écouteurs de haute qualité (surtout pour l'extrême aigu), même sa voix de 9 ans est très complexe et pleine de nuances. Assez étonnant surtout pour un enfant. Je suis un passionné de musique depuis des décennies et je n'ai jamais entendu un enfant avec cette voix riche et complexe, pas mince du tout." En Afrique du sud, L'intervieweur radio lui demande de chanter aux auditeurs et démontrer sa portée et sa puissance. Elle a chanté une longue liaison de bas en haut de gamme et de puissance et a littéralement masqué le micro et presque frit l'équipement de diffusion de la station. Les gens de la gare étaient hystériques. Ils ne pouvaient croire personne, et encore moins une petite fille de 9 ans pouvait vraiment faire ça."

    Quant à Alma Deutscher, elle connaît bien le chant lyrique comme compositrice (dès 7 ans), sa voix est sans grande particularité, simplement agréable ; elle chante ici ou là, parfois avec sa sœur cadette. Ce n'est pas son point fort. Voix agréable, l'émotion est plutôt dans la mélodie et le texte que dans le timbre. Dans une vidéo (qui fut disponible) elle chante la partie de soprano en l'absence de la cantatrice, donnant la réplique au ténor, lors d'une répétition de Cendrillon à dix ans (version 1 en hébreu). Elle chante en compagnie de Sir Bryn Terfel et Hayley Westenra au festival Henley , vidéo de 2016 mais apparue fin 2021 (Alma avait 11 ans à l'époque).

    S’agissant de son monde intérieur, plusieurs textes sont forts diserts, à la fois sur le monde intérieur d'Alma, tout au moins la partie musicale, et sur sa façon de recevoir ou donner les mélodies qu'elle compose à travers ce monde personnel. Amis imaginaires , texte découvert au hasard de l'Internet, qui conforte le texte 'packhum' du père. Daniel Zylbersztajn , Guy Deutscher : "Lorsque nous avons été confrontés – elle avait que trois ou quatre ans – à son monde fantastique, il y a eu des accès de colère répétés ", rapporte-t-il. Une tante qui était psychologue a dit que cela montre que le monde fantastique est très important pour Alma. Ainsi, l'enfant est restée avec son monde. Barbara Reiter, Alma : " Oui, la Transylvanie. Beaucoup de compositeurs et de musiciens vivent dans mon pays. Ils ont très souvent de belles mélodies que je leur dérobe." Laura Battle , Alma : "J'ai pas mal de compositeurs imaginaires : Antonin Yellowsink et Shell et Greensilk et Bluegold et Ashy. Shell a été la première que j'ai découverte, quand j'étais beaucoup plus jeune, elle a donc composé des pièces plus simples ; Antonin Yellowsink est le plus récent."
Alma a beaucoup d'amis imaginaires… Une vie intérieure d'une richesse considérable, à vrai dire inimaginable. Guy Deutscher : "La chose la plus frappante chez elle est son imagination extrêmement vive. Donc pour elle, tout, même grimper aux arbres, est recouvert d'une sorte de monde imaginaire."

    Le compositeur et musicologue Ron Weidberg a dit des mélodies : "Le talent le plus important d'Alma est la connexion parfaite entre son monde intérieur et les mélodies qu'elle crée, si belles parce qu'elles découlent directement de ce monde intérieur, qui, dès le premier instant, s'impriment immédiatement dans notre mémoire et deviennent ainsi la possession de tous ceux qui les écoutent.” Robert Schediwy, note la tempête d'enthousiasme avec laquelle Cinderella de Deutscher a été reçue par le public, et affirme que le public aurait aimé l'opéra même s'il avait été écrit par un homme de quarante ans, parce que (comme beaucoup des critiques l'ont noté) il est plein de belles mélodies. Cependant, Schediwy exprime aussi la crainte que si "l'amour désinhibé de la mélodie" de Deutscher continue à grandir, et surtout si le grand public continue à profiter de sa musique, la réponse des "théoriciens avancés de la culture" ne serait plus favorable. Ils considéreraient alors l'amour de la mélodie de Deutscher comme une menace, et l'accuseraient “d'anachronisme, de populisme culturel et d'infériorité musicale”.

    "Au XXIe siècle, on ne compose pas comme ça !" Cette injonction a été faite à Alma Deutscher. Mais sa musique est tonale, elle le revendique clairement et fermement. Elle avait manifesté son admiration de la beauté de la musique (tonale) dès trois ans. Pour elle, "la musique doit être belle". C'est à dire dans la tonalité mais pas seulement, elle doit être mélodique, ce où excelle Alma. C'est ce qui m'a captivé, aussi immédiatement que la voix d'Amira, dès les toutes premières notes de "O mio babbino caro" pour l'une (9 ans 1/2), et dès les premières notes du second mouvement du concerto pour violon pour l'autre (9 ans). Alma ne voit pas l'intérêt de composer "de la musique moche ni d'ajouter à la laideur du monde", laideur dont elle ne conteste pas l'existence, pas plus qu’il existe un choix de composer de la musique laide. Un commentateur de Youtube écrit : "Elle se délecte juste de la beauté." Nous aussi, en sa compagnie. (Elmayer waltz ). Tout le monde a ce "monde intérieur" avec des fantasmes propres.

Alma dans tout autant d'états

Alma dans tout autant d'états

    Par ailleurs on sait peu de choses sur le monde intérieur les pensées d'Amira, mais on voit que ses interprétations se cantonnent à la musique tonale, tout comme le fait Alma pour ses compositions. C'est un point capital, Alma laisse de côté la musique atonale née au XXe siècle et renoue avec les Grecs et ce qui pour elle veut dire avec la beauté. Alors, musique tonale et musique atonale ! de quoi s’agit-il ?

    Le système tonal désigne un ensemble de relations entre des notes et des accords structuré autour d'une tonique. La tonalité est le système musical dominant de la musique classique européenne de la fin du XVIe au début du XXe siècle. Elle utilise essentiellement la gamme majeure et la gamme mineure. Quelques accidents sont bienvenus, un dièse ou bémol ici ou là pour agrémenter. La tonalité est basée sur une note, dite tonique, base d'une gamme : do majeur, la mineur, par exemple. Cette tonique est à la base d'une hiérarchie d'accords, celui de la quinte (do-sol, rapport 3/2), de la quarte (do-fa), rapport 4/3), de la tierce (do-mi) ou de la sixte (do-la). L'accord consonant de base est l'octave, do3-do4, rapport 2/1. Les accords ci-dessus sont consonants, mais la septième (do-si) ou la seconde (do-ré) ne le sont plus, ce sont des dissonances. La dissonance occasionnelle fait partie de la tonalité, elle doit être " résolue " vers un accord consonant. La modulation fait passer d'une gamme à une autre, de majeure à majeure, ou de majeure à mineure ; ce procédé courant reste dans la tonalité.

    Les Grecs de l'Antiquité furent les premiers à avoir théorisé les rapports des sons entre eux , en nombres entiers (Pythagore et ses disciples), et avaient donné des noms à des gammes : ionien, dorien, etc... Mais nous ignorons à peu près tout de leur pratique, sauf que c'était à l'unisson avec un ambitus réduit. Leur gamme était descendante, basée comme "centre" sur une note différente de la "tonique" de notre époque ; ils utilisaient le quart de ton." Pour les Grecs, la musique est le plus beau des arts, en même temps qu'une science, objet des plus hautes spéculations philosophiques ; en ce sens, les Grecs lui ont accordé plus de valeur qu'aux arts majeurs que furent pour eux la poésie, la danse et la médecine. Depuis des millénaires, l'humanité avait joué de la musique pour son efficacité religieuse, magique, thérapeutique et glorificatrice. Les Grecs sont le premier peuple pour qui la musique devient art, manière d'être et de penser en apportant la beauté."

    Mais Vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe, des musiciens ont estimé que la tonalité avait tout donné, qu'elle était épuisée, qu'il fallait inventer, évoluer. Aussi la hiérarchie basée sur la tonique a été remise en cause. Ainsi la gamme de douze demi-tons dans une octave devait être utilisée sans hiérarchie. Puis fut ajoutée la nécessité de les utiliser sans répétition pour éviter un début de hiérarchisation, d'où le sérialisme. Alors quel est le succès musical effectif de ces mouvements purement idéologiques sur la musique, un siècle plus tard ? Car il faut ajouter à cette atonalité diverses autres recherches, sur les sons en général, les rythmes complexes (Messiaen), sons naturels, bruit divers " naturels ", électroniques (Pierre Henry), le tout arrangé à la fantaisie (ou la science) du compositeur. Cependant , paradoxalement, plus d'un siècle après les premières œuvres atonales, la très grande majorité, voire l'immense majorité de la musique consommée dans le monde occidental reste tributaire du système tonal : musiques populaires (dites folkloriques), musique industrielle, variété, et même tout un pan de la musique savante : "De gré ou de force, nous baignons tous dans la tonalité." Depuis les Grecs nous baignons dans la consonance, et nous la recherchons.

    Les essais de musiques atonales ne semblent pas avoir des effets médicaux favorables, au contraire de Mozart : " Sa sonate est en effet constituée d'une succession de mélodies totalement différentes les unes des autres, ce qui crée à chaque fois un sentiment de surprise. Ces harmonies contrastées, inattendues, entraînent ainsi un effet positif dans les régions cérébrales liées aux réponses émotionnelles de la personne épileptique." Cet effet favorable de la musique sur l'humain était bien connu des Grecs de l'Antiquité, et fort probablement de tout peuple ayant une musique. Et de nos jours, Claude Fernandez dit à propos de Tchaïkovski : Mais qu'est-ce que le romantisme, qu'est-ce que l'impression-nisme musical ? Ne faut-il pas oublier tous ces repères un peu vains ? Pourquoi considérer que l'évolution musicale doit être unidirectionnelle et surtout qu'elle doit être déterminée par l'évolution vers l'atonalisme selon la succession des intervalles mis en évidence par Helmholtz ? Pourquoi même considérer la musique en terme d'évolution musicale ? Ne faut-il pas admettre que l'histoire de l'Art est un chaos et que le bel ordonnancement présenté par les historiens est un pur artefact ? Alors, écoutons le Voïevode, Fatum, l'Orage, la Symphonie pathétique, le Casse-noisette... en oubliant tout... sauf l'émotion de la musique.

Michel Clivet

Tag(s) : #Article de presse
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :