Une Arrivée au cinquième Ciel – au théâtre de Nesle

    Selon les tours de l’histoire ce dont le lieu dit “de Nesle” aurait été le théâtre renverrait plutôt au 7ème ciel, mais les quatre personnages de la pièce qui étaient avant dans “L’ascenseur...” (le précédent spectacle de Philippe Bréham) devront s’arrêter au 5ème. Sans regret vraisemblablement car il s’agirait d’un ciel brahmanique “où ils vont découvrir enfin la transformation possible de la conscience humaine en vue d’un meilleur bien-être sur la Terre.”

    Mais précisons tout de suite que ce bien-être est essentiellement spirituel puisque la pièce commence en citant la phrase que Dostoïevski, dans son roman “l'Idiot”, fait dire au prince Mychkine : "La beauté sauvera le monde (complétée par Sergueï Boulgakov) et l'art en est un instrument." A partir de cette base, les quatre comédiens vont nous emmener dans un carrousel des chevaux de bataille de l’actualité à travers une succession de tableaux où ne prend place aucune intrigue mais un discours intrigant. Le ton est juste et on glose abondamment tandis que la fausse banalité des dialogues produit un effet de distanciation qui va être souligné par la référence explicite aux spectateurs, pour appeler ensuite à la barre les hommes de théâtre, les journalistes et les hommes politiques dans une version satirique du journal de 20h. Puis on passe de l’information brute à l’analyse en faisant au passage la théorie de l’information avec une description de la situation actuelle de la presse pour finir par annoncer le changement et demander aux spectateurs ce qu’ils en pensent, les pauvres.

    Après cela nous passons à la géopolitique dans tous ses états : terrorisme, vente d’armes, prolifération nucléaire, donc explosions expérimentales, donc on voit arriver la pollution ce qui permet de parodier plaisamment les discours militants et ceux des hommes politiques qui nous propose le football comme dérivatif pour canaliser l’agressivité en notant qu’elle se déverse sur les matchs dans les pugilats qui opposent les supporters. On s’en sort de justesse en bifurquant sur le tennis considéré comme plus “classe”.

    Distanciation oblige, la scènes suivante procédera d’une mise en abyme avec l’autobiographie de l’auteur, metteur en scène, directeur de troupe, producteur, interprète, qui tel un dieu de la Trimûrti, détruit le monde pour le recréer. Et hop ! c’est l’occasion de sauter en marche dans la théorie du théâtre. “Il n’y a rien de plus faux que d’être vrai dans le domaine de l’art.” Si on l’ignore, on tombe dans l’art thérapie ! Arrivé là, l’occasion est trop belle pour ne pas passer à la théorie du jeu de l’acteur avec une couche de distanciation et la référence implicite à Diderot et son “Paradoxe sur le Comédien”.

    Il eut été dommage que la sociologie n’en prenne pas, elle aussi, pour son grade. Sachez qu'elle passe maintenant entièrement par les téléphones mobiles, dit portables bien que souvent insupportables. L’économie politique est, quant à elle, profondément impactée par Internet, qui n’oublie pas d’impacter aussi l’économie tout court. Et revoilà l’écologie qui remontre le bout de son nez avec tous les poils de sa moustache (la mousse tache) et ses nombreuses contradictions et là nous plongeons dans la philosophie : “l’observateur doit devenir l’observé – En forêt l’arbre peut te regarder.” Ce qui nous ramène au fameux dessin de Jérôme Bosch “La forêt qui entend et le champ qui voit” (dessin à la plume et à l’encre marron, Kupferstichkabinett Berlin). Ainsi l’ego s’efface dans le silence de son moi intérieur pareil au silence des bruits de la forêt, la pensée abdique et on entre dans la méditation. On retrouve là l’Asie que l’on n’avait au fond jamais quittée et le spectacle se termine dans la poésie avec un appel du maître à donner ou redonner la parole à la Terre qui respire et nous souffle un dialogue qui fera renaître l’optimiste.

Shiva – Dialogue avec la Terre – Sami Graïne, Leïla Jadid, Philippe Bréham, Charles Varin, Ingrid Lobert

Frédéric Sausse