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La fée Mélodie, or sur or

La fée Mélodie, or sur or

Le samedi 20 janvier dernier la Maison du Japon de la Cité accueillait, comme de juste,  une pianiste japonaise pour un concert exceptionnel de piano. Il s’agissait de Mayuko Ishibashi, dont nous avons déjà parlé pour son concert de septembre 2017 à l’église américaine et qui vous a parlé dans son article du 7 octobre 2016 sur le concert de harpe et de violoncelle au Goethe Institut. Comme nous l’avons déjà dit dans notre article du 13 novembre 2017, c'est une sorte de mise en abyme que de rapporter la prestation musicale d'une de nos chroniqueuses, ce dont nous ne pouvons nous lasser. Et il était temps qu’elle se produise à la Cité, car depuis septembre 2015, elle accompagne à la Schola Cantorum de Paris les cours de direction d’orchestre d’Adrian McDonnell, qui fut des années durant le chef de l’orchestre de le Cité et cela jusqu’à sa fin.

Originaire de Sendai dans le Nord du Japon (où elle retourne fréquemment pour des récitals)  Mayuko Ishibashi a commencé le piano en 2004, au sortir de ses études secondaires. Et n’a pas tardé a remporter quelques prix. Maintenant c’est une artiste très parisienne (diplômée de l'Ecole Normale de Musique de Paris et aussi du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris) qui pratique également l'orgue, le clavecin et le clavicorde. Elle est aussi accompagnatrice au piano et enseignante. En plus de sa dextérité remarquée au piano, ses robes aussi font sensation. Nous l’avons vue en robe bleue à l’Accueil Musical de Saint Merry, puis à l'Eglise Américaine avec une robe à tons rouges, et ce dernier concert, commencé dans une robe fauve assez discrète, s’est terminé dans une robe d’or éblouissante qui, par moment, pouvait faire croire qu’elle s’était détachée de la peinture murale de Foujita derrière elle, tout sur fond doré comme dans la fameuse école Kanō qui ajoutait d’ailleurs des musiciens aux artistes peintres.

Introduction de l’artiste :
Claude Debussy (1862-1918) dont on fête cette année le centième anniversaire de la mort a écrit son deuxièmecahier d'images sous l’influence de la musique asiatique, notamment suite à suite de sa visite de l'exposition universelle de Paris en I900. La troisième pièce, “Poissons d'or”, fait référence A une assiette japonaise qu'il possédait et figurant ces poissons et la deuxième, “Et la lune descend sur le temple qui fut”, autemple d'Angkor au Cambodge.
Tôru Takemitsu (1930-1996) compositeur japonais, a écrit “Rain Tree sketch 2" en hommage à Olivier Messiaen (1900-1992) d’après le livre éponyme de Kenzaburo Ooe. Messiaen et Takemitsu ont eu une belle amitié. De Messiaen, je joue “Île de feu” qu'il a dédiée à la Papouasie Nouvelle-Guinée, ainsi qu’un prélude de jeunesse, “Les Sons impalpables du rêve”, très influencé par Debussy. En résonance de ces deux pièces de Messiaen autour du rêve et de l’île, je termine la première partie avec "Rêverie." et "L'lsle joyeuse" de Debussy.
Pour la deuxième partie, 2 sonates du début du XXème siècle. Tout d’abord. celle d'Alban Berg (1885-1935), compositeur de la seconde école de Vienne (son opus l en I907 alors qu'il étudiait encore avec Schönberg). Enfin, la deuxième sonate de Rachmaninov (1873-1943) op. 36, dans sa révision par l’auteur de 1931.

Programme
Claude Debussy : Images 2ème cahier :
l. Cloches à travers les feuilles
2. Et la lune descend sur le temple qui fut
3. Poissons d'or
Tôru Takemitsu : Rain tree sketch l
Olivier Messiaen : Les sons impalpables du rêve
'Tôru Takemitsu : Rain tree sketch 2 - Un hommage à O. Messiaen  
Olivier Messiaen : lle de feu l
Claude Debussy : Rêverie. L'lsle joyeuse
Alban Berg : Sonate op. l
Sergei Rachmaninov : Sonate op. 36

1er bis : 2ème prélude Gershwin
2ème bis : 3ème prélude Gershwin
3ème bis : Chopin, op. 27 n° 2

En consultant ce programme on voit tout de suite qu’il se situe en dehors des sentiers battus, de ces morceaux musique archi-connus des grands composteurs, que l’on entend tout le temps, peut-être tout simplement parce qu’ils sont les plus beaux, mais qui ne résument pas la musique qui mérite bien sûr d’être appréciée dans toutes ses facettes. Il faut du courage et du sang froid pour faire un tel choix non convenu qu’il faudra défendre face à son public à coups de talent. On appréciera aussi que l’association des morceaux ne sois pas arbitraire, mais se réfère à l’histoire musicale, et constitue en lui-même un discours sur la musique et sur sa dimension théorique. Dans ce programme, Debussy sert de pivot pour nous amener à Takemitsu et à Messiaen qui se sont d’ailleurs rencontrés à New York.

Claude Debussy laisse l’image du créateur d’une musique où souffle un vent de la liberté et qui a placé d’emblée son œuvre sous le sceau de l’avant-garde musicale. Plus encore que les romantiques, Debussy a marqué une rupture avec la forme classique tout en gardant la perfection formelle mais avec des thèmes disséminés, des nuances infinies et des rythmes complexes. En traduisant en musique des images ou des impressions, le but est d’amener l’auditeur à des sensations particulières. On y retrouve la notion de synesthésie, mise en oeuvre par Mayuko Ishibashi dans son article dans nos colonnes. L'Isle joyeuse en est le parfait exemple puisqu’elle a été inspirée par une œuvre de Watteau de 1717 “Le Pèlerinage à l'île de Cythère” – une Cythère rêvée qui a inspiré bien des peintres et des auteurs (Victor Hugo, Gérard de Nerval, Baudelaire et notamment une chanson dans la Belle Hélène d’Offenbach en 1864) et naturellement des musiciens comme Debussy. Pour interpréter cette partition  brillante et colorée la pianiste dois faire preuve de finesse et modifier sans cesse la sonorité, douce et coulante, pour illustrer la spontanéité, l'insouciance, l'évasion, avec un jeu dans les positions du corps autant que dans ses doigts au toucher de velours.

Le tableau d'Antoine Watteau “Le Pèlerinage à l'île de Cythère” qui a inspiré l'Isle joyeuse à Debussy

Le tableau d'Antoine Watteau “Le Pèlerinage à l'île de Cythère” qui a inspiré l'Isle joyeuse à Debussy

Il fallait de toute façon un compositeur japonais dans ce concert. Et quel meilleur choix que celui qui a reconnu sa dette à Debussy (pour la flexibilité du rythme et la richesse de l'harmonie) Toru Takemitsu, un autodidacte qui était d'avant-garde sur l'esthétique et la théorie musicale. Il reste célèbre par sa synthèse des philosophies orientale et occidentale réunissant les contraires comme le son et le silence, la tradition et l'innovation, pour aboutir à un son qui lui soit propre. Mais il n’y avait pas que Debussy, puisque le morceau Rain Tree Sketch  II a été sous-titrée "In Memoriam Olivier Messiaen" car son “Quatuor pour la fin des temps” a eu sur Takemitsu un effet profond.

Rain Tree Sketch II a plusieurs caractéristiques qui ramènent à la vie quotidienne des Japonais. On s’y réfère au concept de "Ma" dont le caractère s’écrit avec un soleil entouré d’une porte et signifie : intervalle, espace, durée. On l’entend régulièrement au Japon dans le haut-parleur du métro qui annonce l’arrivée à la station avec “Ma mo naku” c’est-à-dire “sans plus de délai”. Ma est aussi un concept esthétique (ce qui fait le lien) utilisé en musique mais aussi dans le théâtre et en architecture, peinture, arts martiaux, etc. On peut donc imaginer la difficulté d’exécution d’un tel morceau. On a vu à l’œuvre une interprète hiératique, une virtuose éblouissante, concentrée et tragique, qui déployait un toucher puissant rapide sur un clavier comme martelé par les doigts.

Le troisième homme, Olivier Messiaen était un fervent catholique, organiste, pianiste et compositeur. Son œuvre fut très expérimentale avec les chants d’oiseaux qu'il enregistrait et transcrivait, faisant des recueils complets et un goût pour l’exotisme, les rythmes hindous et grecs, qui s’exprime aussi dans un des morceau choisi : l’Ile de feu 1, une pièce dédiée à la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Tout cela fait que ce compositeur ne peut être rattaché à aucune école en particulier mais a néanmoins influencé les jeunes compositeurs de l'après-guerre.

Avec Messiaen, on retrouve un synesthète, bien qu’il disait ne l’être qu’intellectuellement, comme par exemple dans sa  définition de la musique  : « La musique est un perpétuel dialogue entre l'espace et le temps, entre le son et la couleur, dialogue qui aboutit à une unification : le temps est un espace, le son est une couleur, l'espace est un complexe de temps superposés, les complexes de sons existent simultanément comme complexes de couleurs. Le musicien qui pense, voit, entend, parle au moyen de ces notions fondamentales, peut dans une certaine mesure s'approcher de l'au-delà »

Pour cette pièce, très colorée d’exotisme, qui alterne des paires d'idées musicales toutes en énergie et en rapidité, la pianiste a encore démontré fermeté et la précision de son exécution. Elle y ajoute une gestuelle expressive où la main semble être les prolongements du cœur pour exprimer le sentiment.

Puis nous sommes passé au compositeur autrichien Alban Berg, également un autodidacte, un homme fortuné qui en a profité pour consacrer sa vie à la musique. Admirateur de Wagner, il composa deux opéra, Wozzeck et Lulu, le premier opéra dodécaphonique, auxquels il doit l’essentiel de sa célébrité. Sa sonate op.1 se compose d'un unique mouvement centré sur la tonalité en si mineur mais avec  un usage fréquent du chromatisme, ce qui donne une sensation d'instabilité tonale résolue seulement dans les dernières mesures.

Avec une durée d'exécution d’une dizaine de minute, cette œuvre procure un sentiment de plénitude amené par la pianiste grâce à un toucher parfaitement dosé et aérien qui fait passer d’une douce mélancolie à des points culminants de force et beauté. Mayuko nous captive par son jeu subtil et déterminé reposant sur une extrême concentration qui se libère dans l’émotion.                                

Le concert se conclut avec Serge Rachmaninoff le très connu compositeur, pianiste et chef d'orchestre russe, naturalisé américain. Contrairement aux précédents, ce n’est pas réellement un innovateur car ses compositions restent dans la tradition romantique des Tchaïkovski, Rimski-Korsakov et Frédéric Chopin dont il était un grand admirateur. Rachmaninov comparait d’ailleurs sa pièce avec la sonate pour piano no 2 op. 35 écrite elle-aussi en si bémol mineur. Il disait même que Chopin avait réussi à tout dire en dix-neuf minutes et jugeant donc sa sonate trop longue il et la raccourcit d’un tiers en 1931, si bien qu’il en existe deux versions, mais c’est la n° 2 qui est de loin la plus jouée et a été retenue pour ce concert.

L’interprétation commence sur une attaque décidée pour entrer dans le romantisme suivi d’un adoucissement progressif, avec une attention bondissante, pour finir par un énergie fantastique déployée dans la dernière ligne droite. C’est comme une vague qui se dissipe sur le sable pour revenir encore et encore... à la conquête du clavier dans une relation presque charnelle pour un combat sans merci. Ce qui donne toute sa signification à la présence dans le public (par rapport à la musique enregistrée) c’est de percevoir en direct le contraste entre d’une part l’effort perceptible de l’artiste pour vaincre la résistance physique de l’instrument et d’autre part la musique qui coule comme de l’eau.

Debussy – Takemitsu – Messiaen – Berg – Rachmaninov

Debussy – Takemitsu – Messiaen – Berg – Rachmaninov

Debout sous une pluie d’applaudissements, Mayuko apparaissait être arrivée à la limite de ses forces. Mais après un bref passage en coulisse, la pianiste revenait fraîche comme un rose pour nous offrir successivement trois bis avec des morceaux de  Gershwin et Chopin, qui mettait le point final au concert en nous ouvrant sur une autre sélection.

Frédéric Sausse

Tag(s) : #Article de presse
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