Dans un précédent article (La première du duo D’cybèles à la Maison de l’Argentine du 18 avril) nous parlions du jeu de mot et voilà que, de nouveau, la Maison d’Argentine accueillait, le vendredi 8 avril, la musique du jeu de mot avec Christine Audat qui, passant d’une racine germanique à une autre, réécrit son nom en Ôda, soit le mot espagnol pour “ode” (un signe diacritique indiquant que le “O”est long, comme celui du mot grec) qui signifie chant, c’est-à-dire en même temps poème puisque c’est finalement (et originellement) la même chose, comme le montre aussi la langue latine ou le mot “carmen” (également un prénom féminin) a aussi ces deux significations avec, en plus, celle d’incantation ou de formule magique, que l’on retrouve dans son dérivé le mot “charme” qui exprime le caractère envoûtant de la musique en même temps que le pouvoir de séduction ou un sentiment délicieux.
Cela nous place au centre du sujet car Christine Audat compte la qualité de poétesse au nombre de ses charmes. Et quand il quitte le monde de l’instantanéité de la musique, le poème s’inscrit dans le marbre, la vibration sonore se transmue en vibration électromagnétique, la forme sonore en forme graphique, dont le sentiment reste la théorie unificatrice. L’écriture est une permanence qui peut nous toucher à tout instant, et mise à part l’ésotérique écriture musicale, avec des lettres et des mots que nous pouvons tous plus ou moins comprendre.
Avec la quasi profession de foi : “ÕDA mêle-anges dænse chants-sons multi-vers peau-éthiques æntre France-îlienne & Âme-rica” nous entrons dan le vif du sujet ! C’est, en passant par le lettrisme, une poésie surdéterminée ou chaque mot se fragmente en d’autres sous-jacents par le son et par le sens. Cela va encore plus loin lorsque les mots sont assemblés dans une sorte de calligramme en forme de dodécaèdre météorique, symbole de l’univers, du cosmos et de l'esprit divin, relié à l'éther ou quintessence.
Nous sommes alors pris dans un filet de connotations qui s’étend encore avec le poème apologétique de Julie SaM qui identifie clairement la formation musicale et sa personnalité centrale. L’Amazone rassemble...
«Ode à l’eau qui jaillit frémissante du rocher
Ode à l’or de la voix cristalline et coulée
Ode à l’onde agissante veloutée
C’est l’odyssée du chant d’ÕDA.
Audace des voies multiples
Explorées façon chanson, façon latine
Audace en tumultueux périples
Affrontés sans y penser, elle les devine
Effrontée liménienne, carioca, amazonienne
Amazone à ses heures, en vraie parisienne
ÕDA est tout ça à la fois.
D’envolées joyeuses en chaloupés magiques
Lumineuse et rieuse en musique
De la nuit à l’aube, jouant de ci, de là
C’est l’odyssée du chant d’ÕDA.»
Si l'eau qui jaillit du rocher ne peut que faire penser qu’à Moïse, l’Odyssée nous ramène in fine à la Grèce antique où logiquement doit se trouver une Amazone. Evidemment il y a aussi d’autres références géographiques qui évoquent un vaste parcours dont les jalons ne sont pas précisés, pas plus que les origines en temps et en lieu, comme si la portion minuscule de l’immense espace-temps où nous nous mouvons n’était pas de nature à satisfaire Oda.
Alors vous voyez que les vraies parisiennes sont des Amazones... diable ! Pourtant elles ne sont, semble-t-il, pour rien dans le nom de ce fleuve loin de la Seine, qui vient de ce que, peu dérouté de voir de telles femmes dans cet endroit improbable, l'explorateur Orellana, au XVIe siècle, l’a nommé « fleuve des Amazones » (puisque aussi bien elles vivaient au bord d’un fleuve d’après la légende) donc in fine « Amazone ».
L’histoire nous enseigne que les Amazones ne se passaient pas des hommes, même si elles avaienl tendance à les réduire à leur plus simple expression. Comme exceptions, nous avons de nombreux héros grecs : Bellérophon, Achille, Héraclès, Thésée, dont chacun a eu sa reine des Amazones et qui ne s’en sont pas trop mal tirés. On peut en espérer autant de ceux qui entourent Oda, puisqu’on n’y compte pas moins de deux chefs d’orchestre : Nicolás Agullo, un impressionnant multi-instrumentiste : chef d’orchestre, pianiste, violoniste, guitariste et chanteur de folklore qui l’accompagne à la guitare et parfois au piano ou au tambour. Et Juan Guerra, chef d'orchestre et compositeur né à Buenos Aires, qui accompagne Oda au bandonéon depuis 2014. Ils faut ajouter à ces deux héros le danseur Matias, avec une conception chorégraphique contemporaine inspirée du tango, et une héroïne, une harpiste au visage d’un ange qui s’est envolé sans avoir prononcé une seule parole divine.
Mais tant de considérations sont à prendre en compte que l’on en oublierait presque la musique de ce programme riche et varié, avec les chansons suivantes :
Amazone sur Seine (Christine Audat)
La valse créole (Chabuca Granda)
Corazonando (Cuchi Leguizamon)
Coração vulgar (Paulinho da Viola)
Mon p’tit coeur (Edo Sellier / Christine Audat)
Fafa Alina Traine harpe (Theko Paradjanova / Christine Audat)
Corps Alina Traine + Juan Guerra (Christine Audat)
Peace in Juan Guerra bandonéon (Christine Audat)
Trace Juan (Christine Audat)
Va-et-vient Juan (Christine Audat)
Fleur de bitume Juan + Matías Tripodi danse (Christine Audat)
Murmure (Christine Audat)
Luz maior (João Nogueira)
Malabrigo (Cesar Miro / Alcides Carreño)
Las estatuas (María Elena Walsh)
Madurando sueños (Chacho Echenique)
Bis
Todos vuelven (Cesar Miro / Alcides Carreño)
Andando a gatas (Pepe Nuñez)
Dans tout cela, le navire amiral est de toute évidence “Amazone sur Seine” une chanson, en même temps qu’un projet, que la chanteuse désigne comme une chanson entre la Seine et l’Amazone – Entre la scène et l’Amazone ! Elle y déploie sa voix chaude et profonde faite de conviction et d’expression retenue, soutenue par un accompagnement sans faille d’une grande maîtrise technique. Il y a un dialogue presque amoureux avec le guitariste qui semble ne rien capter de prime abord mais qui sourit ensuite. Parfaitement à l’aise sur scène, Oda déroule un chant tout en douceur qui permet de saisir assez facilement les paroles, mêmes en espagnol.
Alors si l’on peut facilement imaginer que née à Lima, Oda a descendu l’Amazone en pirogue, avec ses peintures de guerre, avant de traverser l’Atlantique pour arriver jusqu’à nous, on la perçoit plus volontiers comme une parisienne en quête d’exotisme : Le folklore des Andes, la musique latino-américaine, cap-verdienne, etc, comme en témoignent ses interprétations en espagnol et en portugais, plutôt que comme une sud-américaine survoltée venue conquérir Paris. Par exemple la Valse Créole est en français comme un trait d’union entre les deux mondes. “Va-et-vient Juan” se rattache aisément à la chanson sentimentale réaliste contemporaine et la chanson “Fleur de bitume” s’inscrit tout à fait dans la tradition du Montmartre fin de siècle avec ses chansons sur la misère ordinaire. “Murmure” (j’attends ton murmure...) et dans la ligne de la chanson d’amour, tout en assonance et en métaphores filées mais sans jeu de mot, avec une fin vocalisée qui évoque la douceur de l’attente ou de la nostalgie. Evidemment le reste du programme était plus exotique et l’ensemble produisait un équilibre harmonieux qui a été très applaudi. Rappelé par le public, le groupe lui a offert en bis une chanson péruvienne suivie d’une chanson argentine.
Frédéric Sausse