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La grande déesse Amaterasu au dessus de la princesse Himiko souveraine du Yamatai – Le Japon ancien – Mme la Shogun Minamoto no Yoritomo]

La grande déesse Amaterasu au dessus de la princesse Himiko souveraine du Yamatai – Le Japon ancien – Mme la Shogun Minamoto no Yoritomo]

    L'histoire du Japon peut être divisée en cinq grandes périodes, inégales en durée : le Japon primitif (de l’origine à la fin du 6ème siècle), le Japon classique (du 7ème à la fin du 12ème siècle), le Japon féodal ou des Shogun (du 13ème siècle à 1868), le Japon moderne, de la révolution-restauration Meiji de 1868 à la défaite de 1945), le Japon contemporain (de 1945 à nos jours). Le Japon primitif  part de la préhistoire : Jômon, traverse Yayoi (époque dite néolithique) et l'époque des anciens tertres  (Kofun) ou sépultures en forme de tumulus, pour arriver à Shôtoku Taishi qui institue le Japon classique avec sa politique d'imitation de la Chine. Le Japon classique est tout entier dans la période de Heian qui inclut le début de la période Fujiwara et se termine par l'installation du 1er shogunat à Kamakura, suivit de celui de celui de Muromachi, auquel Nobunaga viendra mettre fin. Après les époques de Kamakura et de Muromachi, une nouvelle période commence avec l'unification entreprise par Nobunaga, poursuive par Hideyoshi, qui trouve son aboutissement dans un nouveau et dernier shogunat, celui des Tokugawa, lequel débouchera sur Meiji et le Japon moderne. On voit que la société militarisée des Shôgun qu'a connu le Japon du 12ème au 19ème siècle débouche au 20ème sur le militarisme japonais, lequel conduit au Japon contemporain né en 1945.

Période Jômon, la préhistoire – Période Yayoi l'agricuture – Période Kofun, les anciens tertres

Période Jômon, la préhistoire – Période Yayoi l'agricuture – Période Kofun, les anciens tertres

Le Japon à l'école de la Chine

    La dynastie Tang (618-907), qui a fait retrouver à la Chine son unité après une longue période de division, succédait, de ce point de vue, à celle des Han (206 av. J.-C. à 220). Pour certains, véritables fondateurs de la Chine, les Han (désignant les caractères chinois utilisés en japonais, Kanji signifie "caractère de Han") avaient étendu leur pouvoir à l'Asie centrale, pour le contrôle de la Route de la Soie, et au Vietnam, à la Mandchourie, la Mongolie et la Corée. Avec un territoire moins étendu et Changan, en Chine centrale, pour capitale, l'empire Tang n'en a pas moins atteint des sommets dans de nombreux domaines. Il se distingue aussi par ses fortes personnalités, et pour commencer Tang Tai Zong (grand ancêtre des Tang), fils du fondateur de la dynastie, qui est considéré, sans conteste, comme l'exemple même du "bon empereur". Tel ne sera pas le cas de celle qui va lui succéder : l'impératrice Wu, qui, après une conquête sans scrupule du pouvoir, fut la première femme à régner de sa propre autorité. Cependant, bouddhiste fervente, malgré sa main de fer, elle encouragea l'apport du bouddhisme aux arts et à la culture. Son petit-fils, qui lui succéda, devint Ming Huan, "le brillant empereur", dont le règne marque l'apogée de la dynastie Tang dans une Chine où furent recensés 52 millions d'habitants. Il favorisa lui aussi les arts et notamment la littérature, le drame chinois apparut sous son règne. La Chine des Tang rayonna et noua des contacts étroits avec les autres peuples dans toute l'Asie et même au-delà. Le Japon, en particulier, fut un fervent admirateur et imitateur des Tang. Les villes de Nara et Kyôto (Heian), sont du plus pur style Tang. Les noms des rues de Heian (Paix Constante) ont même été copiés sur ceux de la capitale des Tang : Changan  (Paix Durable).

Le premier empereur – Tang Tai Zong (grand ancêtre des Tang) – L'impératrice Wu –  Ming Huan, "le brillant empereur"

Le premier empereur – Tang Tai Zong (grand ancêtre des Tang) – L'impératrice Wu – Ming Huan, "le brillant empereur"

    Les Han avaient influencé le Japon à travers la Corée, à partir du 3ème siècle avant notre ère. Les chroniques chinoises de l'époque mentionnent l'existence de barbares de l'Est, nommés Wa, qui se regrouperont à partir du 3ème siècle sous l'autorité d'une femme : Himiko, souveraine du Yamatai. C'est la fin de la préhistoire, appelée Jômon pour ses poteries aux motifs cordés, et le début de l'époque Yayoi (300 av. J.-C. à 300) qui voit l'apparition de la riziculture irriguée ainsi que des poteries faites au tour et de nombreux objets de bronze et de fer d'inspiration chinoise.

Reconstitution d'un village de l'époque Jomon – Reconstitution du village Yayoi de Yoshinogari à Kyūshū – Reconstitution d'un grenier de l'époque Kofun. Osaka

Reconstitution d'un village de l'époque Jomon – Reconstitution du village Yayoi de Yoshinogari à Kyūshū – Reconstitution d'un grenier de l'époque Kofun. Osaka

    Après les Han, les Tang vont influencer bien plus encore ce Japon naissant. A partir du 1er siècle les contacts avec la Chine ont été constamment alimentés par des commerçants ou des diplomates. En outre, des immigrants venus de Corée apportaient avec eux des connaissances scientifiques ou artistiques et culturelles, si bien qu'au 5ème siècle, le principe de l'écriture chinoise était devenu familier aux Japonais. C'est l'époque dite des "anciens tertres", qui succède à Yayoi, caractérisées par ses sépultures à tumulus lesquelles allaient ensuite laisser place à la pratique bouddhique de l'incinération. Car le bouddhisme se répand lentement dans un Japon qui subit la pression osmotique de la culture chinoise, non sans susciter des résistances parmi les conservateurs attachés à la tradition shintoïste. Mais le bouddhisme est plus favorable à un gouvernement centralisé que les dieux locaux du shintoïsme qui soutiennent au contraire les particularismes et, en 552, la cour du Yamato l'adopte comme religion officielle. Le tournant décisif va se situer vers la fin du 6ème siècle et au début du suivant, quand le prince héritier, Shôtoku Taishi, à la tête du mouvement réformateur pro-bouddhiste, après avoir évincé les conservateurs en 587, promulgue, en 604, une constitution en 17 articles, basés sur les principes bouddhistes et confucianistes. En 607, il inaugure une politique d'envoi de missions diplomatiques en Chine qui se poursuivra pendant deux siècles et demi.

Shôtoku Taishi exposant sa constitution en 17 articles – Le Japon au temps de Shôtoku Taishi – Le plus ancien Buddha du Japon, daté de façon précise en l'an 609

Shôtoku Taishi exposant sa constitution en 17 articles – Le Japon au temps de Shôtoku Taishi – Le plus ancien Buddha du Japon, daté de façon précise en l'an 609

    Ces missions ont permis au Japon nouveau-né de boire le lait de la culture chinoise. Ce sont les étudiants, soigneusement sélectionnés, qui accompagnaient ces missions d'une durée d'un an et qui restaient parfois sur place jusqu'à la mission suivante, qui étaient ensuite chargés de transmettre les connaissances acquises de la sorte. En 645, devenus conscients de leur pourvoir, ce sont eux qui vont inaugurer l'ère Taika, ou ère du grand changement, sorte de révolution de palais, dont le but est de faire du Japon une réplique exacte de la Chine des Tang. Cette politique révélait en fait le désir de traiter d'égal à égal avec le puissant voisin. Ainsi, le prince Shôtoku écrivait aux empereurs chinois en ces termes : "l'empereur du Soleil Levant à l'empereur du Soleil Couchant..."  (c'est ainsi que le Yamato est devenu le Pays du Soleil Levant) et de rêver d'une administration impériale centralisée.

    C'est à cette époque que le Japon rompt définitivement avec ses traditions matriarcales de l'époque Yayoi, où les souverains étaient des femmes, et que la dignité impériale devient exclusivement masculine, en associant les pouvoirs de chef religieux et de chef politique, tels que les empereurs issus de Meiji les ont détenus jusqu'à la défaite de 1945. La femme japonaise passait du coup derrière l'homme pour longtemps. Autour de l'empereur, ont installa un gouvernement central de type chinois, avec un conseil d'Etat, un grand chancelier secondé par les chanceliers dextre et senestre et huit ministres. Puis les Japonais entreprirent, avec une extraordinaire détermination, mais des succès divers, de se doter d'une administration de style chinois.

Chang'an capitale des Tang – Nara capitale du Japon de 710 à 784 – Kyôto capitale du Japon de 794 à 1868 – Tôkyô capitale du Shogunat puis du Japon depuis 1868

Chang'an capitale des Tang – Nara capitale du Japon de 710 à 784 – Kyôto capitale du Japon de 794 à 1868 – Tôkyô capitale du Shogunat puis du Japon depuis 1868

    Pour ce faire, il fallait aussi pour capitale une ville convenablement édifiée comme le Japon n'en avait encore jamais connue. A partir de 710, les Japonais tentent de construire à Nara une copie en réduction de la capitale des Tang, alors peuplée de près d'un million d'habitants. Elle ne sera jamais achevée, mais avec ses palais, ses hôtels particuliers et ses imposants temples bouddhiques, elle constitue un conservatoire unique des formes architecturales de l'époque des Tang. C'est vers la fin du 8ème siècle que la cour, pour échapper à l'influence des bouddhistes de Nara et de ses environs, décida de la construction d'une nouvelle capitale à une cinquantaine de kilomètres plus au Nord. Plus grande que Nara, Heian, aujourd'hui Kyôto (la capitale), est la seule grande ville du Japon bâti sur le modèle d'une ville chinoise. Elle est restée capitale impériale jusqu'à Meiji, où l'empereur a succédé au Shôgun dans son installation à Edo, renommée Tôkyô (capitale de l'Est) pour l'occasion.

    Cependant l'assimilation de la culture chinoise par le Japon, tout à fait remarquable par son caractère spontané en l'absence de toute domination politique, a finit par rencontrer ses limites. L'administration imitée de la Chine n'a jamais pu être étendue à l'ensemble du pays trop attaché à des particularismes bien protégés par le relief très accidenté du pays. Les tentatives de transposition des systèmes foncier et fiscal chinois furent assez rapidement abandonnées et au bout d'un siècle le système, qui n'avait jamais étendu son influence au-delà de quelques provinces autour de la capitale, s'écroulait. Pas moyen, non plus, d'installer un corps de mandarins recrutés par concours. Le principe japonais de l'hérédité du statut social comme la tradition de solidarité familiale s'y opposaient formellement. De plus, la faillite du système d'administration centralisée à la chinoise, profitait aux seigneurs de la cour qui s'entendaient avec l'aristocratie locale pour s'en partager la dépouille. Du 8ème au 10ème siècle, les domaines francs se multiplièrent au détriment du domaine impérial qui finit par disparaître.

    "Au Japon comme en Europe, la féodalité naquit de la convergence de trois éléments : les anciens principes de centralisation impériale, les vieilles traditions primitives d'organisation semi-tribale et les réseaux de fidélité personnelle. En Europe les deux principales composantes du mélange furent la centralisation romaine et l'organisation tribale germanique ; au Japon, ce furent les institutions empruntées à la Chine des Tang et l'organisation sociale primitive fondée sur les Uji (clans)." (1) Sur la débâcle de la tentative de construction d'un Etat impérial japonais identique au modèle chinois, se greffa la prise de pouvoir des Fujiwara qui allait dominer la cour du Japon impérial pendant un millénaire.

Le système féodal : les trois ordres – Le Japon féodal – L'intronisation du nouveau Shôgun

Le système féodal : les trois ordres – Le Japon féodal – L'intronisation du nouveau Shôgun

L'époque Fujiwara

    Descendants d'un grand seigneur qui avait pris part au coup d'Etat initiant l'ère Taika en 645, les Fujiwara avaient pris le contrôle de vastes domaines partout dans le pays et étaient devenus la famille la plus riche du Japon. De plus, par une habile politique matrimoniale, en plaçant leurs filles,  ils s'étaient infiltrés si profondément dans la famille impériale qu'il finirent par en accaparer tout le pouvoir. Quand l'empereur, harassé, abdiquait en faveur de son fils mineur, le trône revenait à l'impératrice douairière et son père, le régent de fait, était un Fujiwara. Quand l'empereur devenait adulte, le pourvoir réel revenait au Kanpaku, ou régent de majorité, qui était systématiquement un Fujiwara, si bien qu'on qualifie habituellement  l'époque de Heian, à partir du 10ème siècle, d'époque Fujiwara.

    Les Fujiwara ne se sont bien sûr pas limités au domaine politique et sont aussi devenus la référence en matière de goût. Le 11ème siècle a été dominé par la figure de cet arbitre des élégances qu'était Fujiwara Michinaga, précisément à l'époque où Murasaki Shikibu, une dame d'honneur de la cour, rédigeait le Genji Monogatari (le Dit du Genji) qui compte parmi les chefs-d'oeuvre de la littérature mondiale. Cette époque Fujiwara était donc une période de production artistique brillante, car l'influence culturelle chinoise avait laissé une empreinte plus durable sur les esprits que sur les structures politiques et administratives. Le bouddhisme et le confucianisme, les traditions artistiques et notamment littéraires, tout cela contribua à modeler peu à peu une nouvelle sensibilité.

Le clan Fujiwara – Madame Murasaki Shikibu – Illustration du Dit du Genji – Fujiwara Michinaga l'arbitre des élégances

Le clan Fujiwara – Madame Murasaki Shikibu – Illustration du Dit du Genji – Fujiwara Michinaga l'arbitre des élégances

    Cependant, la décadence des Tang au 9ème siècle qui s'acheva par leur chute, contribua grandement à faire pâlir l'aura de la Chine et la dernière mission partira en 838. Progressivement, les Japonais vont affirmer leur personnalité nouvelle et l'assimilation de la culture chinoise se poursuivra désormais en vase clos. Les kana (pseudo-lettres), système d'écriture phonétique dérivé des caractères chinois, vont acquérir leurs lettres de noblesse. Ce sont principalement les dames de la cour qui vont les utiliser pour écrire les premiers livres de poésies, journaux intimes et récits, restés comme des chefs-d'œuvre, alors que les hommes s'appliquaient pendant ce temps à écrire en mauvais chinois. D'une certaine façon, l'élève dépassait le maître et le renouveau national qui se manifesta initialement dans la littérature ne tarda pas à gagner la peinture, la sculpture et l'architecture, aussi bien que les modèles d'organisation politiques et sociaux qui perdaient toute ressemblance avec ceux de la Chine.

Les poétesses de l'époque de Heian qui écrivaient en hiragana

Les poétesses de l'époque de Heian qui écrivaient en hiragana

    En même temps que la noblesse de cour donnait naissance à la culture japonaise classique, la direction économique et politique du pays leur échappait. La noblesse provinciale, peu touchée par l'influence culturelle chinoise, prend progressivement les rênes du pouvoir. Ces seigneurs locaux doivent en principe allégeance aux grandes familles de la cour ou aux temples bouddhistes qui possèdent la terre. En pratique, ils sont les intendants des domaines francs et se soucient peu du gouvernement central tant qu'il ne vient pas s'immiscer dans leur gestion. Ils constituent aussi une force militaire utilisée parfois par les seigneurs de la cour pour régler leurs conflits internes. Ces luttes privées vont faire surgir un nouveau type d'hommes, les Bushi, qui se groupent en Bushidan et échappent à l'influence de la cour. Vers le milieu du 12ème siècle, un conflit successoral va opposer les deux principaux clans qui se partagent l'influence sur la cour impériale : les Taira, dont les domaines se situent dans l'ancien Japon, autour de la mer intérieure, et les Minamoto établis dans les nouveaux territoires du Kantô.

    Soi-disant branches cadettes de la famille impériale, ces deux familles avaient quitté la cour pour la province où elles s'étaient mêlées à l'aristocratie locale. Les Taira commencèrent par l'emporter sur les Minamoto en 1156 et 1160. Disposant de la première armée du Japon, le chef victorieux, Taira Kiyomori, assura son emprise sur le gouvernement central en devenant grand chancelier et en mariant sa fille à l'empereur, dans le plus pur style Fujiwara. Mais la vie à Kyôto transforma peu à peu ses farouches guerriers en courtisans et ils perdirent progressivement leurs appuis provinciaux. Dans le même temps, le clan guerrier de  l'Est se reformait autour de Minamoto Yoritomo qui, à la suite d'une guerre impitoyable de cinq ans, chassa les Taira de Kyôto pour les anéantir au cours d'une bataille navale mémorable, dans la mer intérieure, laquelle vit périr le jeune empereur, petit-fils de Kiyomori. Cet affrontement pour le pouvoir n'avait en soi rien d'extraordinaire, mais Minamoto Yoritomo voulait éviter de commettre l'erreur qui avait conduit les Taira à leur perte en installant leur pourvoir à Kyôto, ce qui allait se révéler déterminant. La deuxième voie, qu'il allait privilégier, devait conduire à une forme d'organisation politique devenue emblématique du Pays du Soleil Levant.

Les Bushi – La bataille navale de Dan-no-ura qui marque la victoire définitive des Minamoto sur les Taira et donne naissance au 1er shogunat

Les Bushi – La bataille navale de Dan-no-ura qui marque la victoire définitive des Minamoto sur les Taira et donne naissance au 1er shogunat

Le shogunat : un consensus à la japonaise

    "En ce début de l'automne 1180, la nuit tombe sur la péninsule d'Izu. On ne distingue plus qu'avec peine la fumée qui s'élevait en ce temps-là en permanence au-dessus du mont Fuji. Une petite troupe de cavaliers, armés de pied en cap, l'air menaçant avec leur casque et leur cuirasse, l'arc en bandoulière, le carquois bien garni, fait route depuis le village de Hôjô en direction du siège du gouvernement provincial d'Izu, sis à proximité du sanctuaire de Mishima.
    Ce soir-là, c'est la grande fête au premier sanctuaire (ishinomiya) shintô de la province. On remercie les divinités pour  les moissons abondantes qu'elles ont offertes aux hommes. A la fin des cérémonies, on retrouve un peu plus loin à l'auberge de la Kise, sur la route du Tôkaidô, où danseuses, manipulateurs de marionnettes et conteurs distraient voyageurs, petits guerriers et paysans venus des environs. Jeux de hasard et paris vont bon train. La surveillance est relâchée autour de la résidence du prévôt Yamaki Kanetaka.
    Soudain, les cavaliers débouchent au galop autour des bâtiments entourés d'une simple haie de bambous. Les gardes sont surpris. Bientôt, alors que la fête bat son plein, le castel du prévôt de la province d'Izu brûle. Quant à Yamaki Kanetaka, vassal du clan Taira, il est tué dans son propre manoir.
    En cette fin du XIIe siècle, l'affaire pourrait paraître banale. L'agression nocturne avec incendie des bâtiments est d'ailleurs un délit répertorié en tant que tel. Pourtant, il ne s'agit cette foi ni d'un simple règlement de compte, ni d'un acte de brigandage mené par quelques guerriers hors-la-loi réfugiés au fond des montagnes et vivant de rapines. Cet événement devait faire date dans l'histoire du pays. Nous sommes le 17e  jour du 8e mois de la 4e année de l'ère Jishô. Le soulèvement général des guerriers du Kantô a commencé."
 (2)

    Cet épisode romancé rapporte un moment décisif de l'histoire du Japon qui peut servir de référence pour la compréhension de l'esprit japonais. Dans l'histoire européenne, en particulier, de tels événements menaient invariablement à une division politique qui en était perçue comme la suite logique. Or cette opération de commando, qui allait en moins de cinq ans porter son instigateur, Minamoto Yoritomo, au sommet du pouvoir n'a pas eu un tel résultat. Ou, plus exactement la nouvelle division du pouvoir, au lieu de s'exprimer verticalement par la création d'un deuxième Japon à l'Est, s'est exprimée horizontalement, le nouvel homme fort se trouvant investi par l'empereur du titre de Shôgun. Ce titre, qui allait se placer au centre du système politique jusqu'en 1868, tel quel signifie simplement "général", mais c'est en réalité l'abréviation de "Sei I Tai Shôgun", qu'on peut traduire par "généralissime contre les barbares". Il s'agissait en fait d'un titre ancien, remontant à l'époque où l'archipel connaissait encore des tribus insoumises, essentiellement les Aïnus, qu'il fallait combattre. Le premier fut Sakanoue no Tamuramaro (758-811) qui conquis le Nord de Honshû et l'île d'Hokkaidô au service de l'empereur.

Minamoto Yoritomo – Minamoto Yoritomo sur le sentier de la guerre – Attaque nocturene de la résidence du prévôt  – Le Shôgun Minamoto Yoritomo

Minamoto Yoritomo – Minamoto Yoritomo sur le sentier de la guerre – Attaque nocturene de la résidence du prévôt – Le Shôgun Minamoto Yoritomo

    A première vue, le fait de gratifier le nouveau détenteur du pouvoir militaire de ce titre ne semblait avoir ni rime ni raison à une époque où il n'y avait pratiquement plus de barbares à soumettre.  En même temps, c'était une manière d'intégrer cette rupture dans la continuité historique, en replaçant le nouveau pouvoir sous l'autorité de l'empereur et en effaçant son caractère de nouveauté. On peut même dire que, de cette façon,  l'empereur, qui n'avait pas gagné militairement, s'arrangeait pour ne pas perdre son autorité. De même le Shôgun, qui n'avait pas gagné la plus haute place, ne perdait pas pour autant le pouvoir conquis à la pointe de l'épée. Et le pays ne perdait pas son unité.

    Le caractère à la fois novateur et conservateur de cet arrangement s'éclaire du fait que le pays avait déjà bel et bien connu son usurpateur qui en 939 s'était arrogé le titre de Shinnô ou empereur nouveau. Cet épisode peut être considéré comme la répétition générale du lever de rideau shogunal puisqu'il prend déjà place dans le Kantô. Ces années-là, un certain Taira no Masakado, du lignage des Taira, en ralliant à lui d'autres notables locaux mécontents, se révolte contre l'autorité du gouverneur provincial et le fait prisonnier. Il s'arroge aussitôt les prérogatives de ce dernier et s'empare progressivement des provinces voisines. Si bien qu'en 939, Masakado a établit son pouvoir sur les huit provinces du Kantô et entends créer une monarchie nouvelle dans l'Est du Japon. On voit, à la lumière de cet épisode sans lendemain, que la pérennité du shogunat découle de la sagesse dont fit preuve son instigateur de ne pas chercher à usurper la place de l'empereur mais à se contenter de la réalité du pouvoir en restant sous son autorité, avec ce titre exhumé de Sei I Tai Shôgun.

    Ce Sei I Tai Shôgun, nouvelle manière, sorte de connétable inamovible et héréditaire, devenait un souverain tout à fait semblable à l'empereur et les deux pouvoirs allaient même adopter la même structure avec les souverains régnants et les souverains retirés, les régents. L'empereur faisait désormais figure de chef uniquement religieux, incarnant la légitimité et la divinité du Japon à travers sa personne, le pouvoir temporel relevant en principe du Shôgun. Le pays connaissait alors une sorte de loi martiale, les affaires civiles étant du ressort des militaires. Cette double structure n'est pas sans rappeler l'Europe du moyen-âge avec la division des pouvoirs entre le pape, dans le rôle de l'empereur, et l'empereur d'Occident dans le rôle du Shôgun. Cette vue a ses limites car, par un mélange des genres des plus étonnants, l'empereur a aussi été le Shôgun pendant un temps, ce qui le faisait dès lors ressembler davantage au souverain anglais qu'au pape. Mais la comparaison reste théorique, car si, pendant l'époque de Kamakura, trois familles de Shôgun se sont succédées : les Minamoto (1192-1226), les Fujiwara (1226-1252) et la famille impériale (1252-1333), selon le système japonais "à tiroirs", la continuité du pouvoir était assurée par la famille des régents (Shikken) Hôjô (1203-1333).

Le premier Shôgun Sakanoue Tamuramaro – Charlemagne couronné par le pape Léon III – L'empereur Kammu  – Tokugawa Ieyasu fondateur du dernier shogunat

Le premier Shôgun Sakanoue Tamuramaro – Charlemagne couronné par le pape Léon III – L'empereur Kammu – Tokugawa Ieyasu fondateur du dernier shogunat

Les tentatives d'invasion mongoles

    Le premier shogunat s'était donc installé à Kamakura (près de Tôkyô), c'est-à-dire loin de la cour impériale montrant bien par-là qu'il ne visait à la supplanter. Simplement, le pouvoir shogunal s'est décalqué du schéma impérial, les régents des Shôgun s'appelant Shikken au lieu de Kanpaku, et une administration shogunale est venue doubler l'administration impériale dans tout le pays. Ce qui a perduré jusqu'à Meiji, c'est-à-dire jusqu'au Japon moderne. Bien que ce partage bicéphale du pouvoir soit profondément japonais, on peut cependant penser que la Chine n'était quand même pas très loin, car Lao Tseu et Confucius, chacun a sa manière, avaient déjà affirmé que l'unité dans la dualité était caractéristique de l'âme chinoise. Et, ironiquement, c'est de la Chine qu'est venue la menace la plus grave auquel le shogunat ait eu à faire face.

    Kûbilai (1214-1294) était le petit-fils de Gengis Khan, mort en 1227. D'abord simple grand seigneur chargé de soumettre la Chine des Song au Sud, il se fit proclamer grand Khan par son armée en 1260 dans sa résidence d'été près de l'actuel Pékin, où il ne tarda pas à établir sa capitale. Après avoir établi son autorité en Mongolie et s'être débarrassé de toute rivalité familiale, il reprend la conquête de la Chine du Sud qui tombe finalement en 1279. Kûbilai, maître désormais de toute la chine, fonde la dynastie des Yuan, dont les mérites furent vantés par Marco Polo et qui eut effectivement quelques succès, bien qu'elle appliqua la discrimination ethnique et le cloisonnement social. Mais Kûbilai, en digne héritier de Gengis Khan, voulait la suzeraineté sur tous les pays d'Asie orientale et notamment sur le Japon que même les Han n'avaient pas conquis.

Gengis Khan – Kûbilai Khan – Les mongols débarquent une première fois à Bunei en 1274 et sont bien reçus par les samourais

Gengis Khan – Kûbilai Khan – Les mongols débarquent une première fois à Bunei en 1274 et sont bien reçus par les samourais

    Après avoir totalement soumis la Corée en 1259, il envoie au Japon ses émissaires qui terrifient les princes de la cour, prêt à leur céder. Mais les guerriers de Kamakura ne l'entendent pas de cette oreille et décapitent quelques envoyés de Kûbilai en guise de réponse. Le Japon n'est pas loin de la Chine. De la côte occidentale de Kyûshû à la côte chinoise, la route du Sud ne compte qu'à peine huit cents kilomètres de traversée. Cependant la Corée est encore bien plus proche, de Tsushima, cet îlot japonais au milieu d'un détroit d'environ deux cents kilomètres, on peut voir par beau temps la côte coréenne. C'est donc de là, qu'en 1274, le corps expéditionnaire mongol s'embarque sur des navires coréens pour débarquer dans la baie de Hakata au Nord de Kyûshû. Mais, le mauvais temps, c'est-à-dire pour les Japonais, les dieux, contraint les Mongols à rembarquer avant d'avoir pris position. Le shogunat, qui ne se contente pas de miracle, fait alors construire une ligne de fortifications destinée en particulier à contenir la cavalerie, en prévision du retour des Mongols, lequel se réalise en 1281.

    Cette fois se présente une véritable armada composée de navires coréens et chinois qui débarquent dans la baie de Hakata, précisément là où les Japonais l'attendait, une armée de 150 000 hommes. Les Mongols combattent de façon moderne, en manoeuvrant. Leur artillerie est redoutable mais leur cavalerie est bloquée par la petite muraille des japonais qui contre-attaquent aussi sur l'eau, à l'aide d'embarcations légères. Finalement la décision tombera du ciel, grâce à un typhon qui envoie la flotte mongole par le fond, laissant les troupes débarquées, sans arrières, se faire promptement massacrer par les samouraïs. Ce kamikaze (vent des dieux) providentiel confortait les Japonais dans l'idée que leur pays était sacré et ne pouvait être envahit. C'est pourquoi on vit ce terme revenir en première ligne pendant la guerre du pacifique, d'abord comme nom propre d'une des escadrilles de pilotes-suicide, ensuite comme nom commun en japonais et in fine aussi dans d'autres langues.

Deuxième tentative d'invasion en 1281 les Japonais contre-attaquent – Le Kamikaze (vent des dieux) – Kamikaze en 1945, un militaire contre d'autres militaires

Deuxième tentative d'invasion en 1281 les Japonais contre-attaquent – Le Kamikaze (vent des dieux) – Kamikaze en 1945, un militaire contre d'autres militaires

    Le Bakufu (shogunat) de Kamakura avait bien mérité de la patrie, mais la caste des guerriers s'était appauvrie et restait  insatisfaite et turbulente. Elle oubliait son idéal de loyauté et le 1er shogunat approchait de sa fin. C'est un empereur désireux de restaurer l'autorité impériale, Go Daigo, qui, appuyé par les guerriers de l'Ouest mécontents fomentera la révolte contre Kamakura en pleine désagrégation. De fait, le général désigné pour réduire le soulèvement, passe à la rébellion en 1333. A Kamakura, la famille Hôjô, rameau des Taira, qui avait pris le pouvoir comme régents au temps des Minamoto, est massacrée. Une longue période de centralisme politique entre leurs mains s'achève au bénéfice de Ashikaga Takauji, qui évince Go Daigo du trône impérial pour y placer un empereur de son choix et se faire attribuer, en 1338, le titre de Shôgun que ses descendants conserveront jusqu'à l'entrée en scène de Nobunaga qui va disperser les restes de leur pouvoir. Le shogunat des Ashikaga, soit l'époque de Muromachi (1333 à 1573) selon le nom du quartier de Kyôto où résidait le Shôgun, n'eut jamais la puissance de celui de Kamakura. A partir de 1467, Senkokujidai (époque des provinces en guerre) lamina leur pouvoir pour n'en laisser plus subsister que le principe, comme, avant le leur, celui des empereurs et des Fujiwara.

    Cependant, comme avant eux les Fujiwara, les Ashikaga vont devenir des mécènes et les arbitres du bon goût. C'est un tournant de l'histoire culturelle du pays, où la cour du Shôgun ravit à celle de l'empereur, il faut dire en proie à des difficultés financières à peine croyables, son rôle de protectrice des arts et des lettres. Le rôle historique des Ashikaga aura, de fait, été plus culturel que politique. Ils s'entourent des meilleurs artistes et des plus fins lettrés, parmi lesquels ont compte un bon nombre de moines bouddhistes. Les maîtres Zen, tout spécialement, sont à l'honneur car ils forment un trait d'union avec la vie culturelle chinoise.

    Le Zen va imprégner toute la vie intellectuelle, et s'allier, comme au temps de Shôtoku Taishi, au confucianisme pour s'élargir à un syncrétisme avec les traditions nationales. C'est, à partir d'anciennes danses sacrées du Japon ancien, la naissance du théâtre Nô dont la finalité est d'enseigner les vertus bouddhiques. Le Zen va établir trois modes d'expression esthétiques encore vivants aujourd'hui : la cérémonie du thé, avec son formalisme poussé à l'extrême, l'Ikebana (arrangement floral), qui s'inspire de l'ornementation des autels des temples, et l'art des jardins, d'origine chinoise mais qui prend au Japon un tour inimitable culminant avec le jardin de pierre du temple Ryoanji de Kyôto, lequel exprime l'état mental de la méditation.

Sōgi moine Zen et poète renga – L'ikebana (la voie des fleurs) vient des autels bouddhistes – Cérémonie du thé – Masques, théâtre Noh – La peinture monochrome Zen

Sōgi moine Zen et poète renga – L'ikebana (la voie des fleurs) vient des autels bouddhistes – Cérémonie du thé – Masques, théâtre Noh – La peinture monochrome Zen

La société féodale

    A côté des délices de la cour shogunale, le pays est en proie à une agitation permanente. Comme dans l'Europe féodale la fortune des seigneurs va se décider par les armes. Il s'ensuit une période de combats ininterrompue pour le pouvoir et l'appropriation des domaines. Mais c'est aussi l'époque d'une forte expansion économique et commerciale. Du 13ème au 16ème siècle, le commerce extérieur, en particulier avec la Chine, est devenu fondamental pour le pays et apporte peu à peu les éléments de la diversification dans une économie qui s'évalue traditionnellement en Koku, soit une ration annuelle de riz (180 litres).

    Sur la mer les Japonais prennent l'ascendant sur les Coréens et au 15ème siècle ils sont devenus les maîtres des routes commerciales dans tout l'Est de la mer de Chine. Les grands seigneurs et même les monastères bouddhistes n'hésitent pas à se faire armateurs, à l'instar des Ashikaga qui, qui pour renforcer leur crédibilité à l'extérieur, poussent le mauvais goût jusqu'à accepter de la Chine des Ming le titre de "roi du Japon" pour le Shôgun. De cette période troublée, les Japonais sortent grandit, qui peuvent maintenant traiter d'égal à égal avec les marchants chinois et les Occidentaux arrivés dans le sillage des Portugais en 1543.

L'arrivée des Portugais en 1543, les premiers occidentaux à aborder le Japon

L'arrivée des Portugais en 1543, les premiers occidentaux à aborder le Japon

    Ce renforcement de l'économie s'effectue paradoxalement en l'absence de pouvoir central bien établit. Mais la constitution des domaines seigneuriaux représentaient une étape dans l'établissement d'un Japon unifié. Les Daimyô (grands noms) comme ont commencé à s'appeler les seigneurs de cette époque, détenaient des possessions d'importance très variable, mais ils étaient à l'intérieur de leur domaine, grand ou petit, les maîtres absolus. C'était donc bien des fiefs et le Japon était, comme l'avait été l'Europe, une société féodale, mais à la différence de cette dernière elle allait en garder certains traits jusqu'à l'époque moderne.

    Dans un système féodal, certains fiefs tendent tout naturellement à en placer d'autres sous leur tutelle, voire à les absorber. A partir du 16ème siècle, les armes à feu apportées par les Portugais en 1543, commencent à être utilisées sur les champs de bataille et leur emploi va changer la donne tout en précipitant le phénomène de concentration du pouvoir. L'homme clé de cette mutation est un Daimyô de deuxième rang : Oda Nobunaga, qui, parti de son fief de la région de l'actuel Nagoya, va s'emparer de Kyôto et de ce qui restait des cours de l'empereur et du Shôgun. Il s'attaque ensuite à la secte Tendai dans le Japon central et démantèle ses principaux monastères, avant de s'en prendre à la Vraie Secte de la Terre Pure dont le temple fortifié situé à Osaka, une ville franche à l'époque, finit par capituler. C'est encore lui qui détruit la commune d'Iga, et qui provoque, pour les quelques survivants,  la dispersion des samouraïs-paysans qui s'auto-administraient là depuis des siècles, comme dans la commune voisine de Kôga. Parti comme il était, il n'aurait pas tardé à soumettre le pays tout entier à son autorité et, plus que probablement, à fonder une nouvelle dynastie shogunale s'il n'avait été éliminé par un de ses lieutenants.

Oda Nobunaga – Agashino (1575) première bataille moderne du Japon où Oda Nobunaga aligna 3 000 arquebusiers ce qui emporta la décision

Oda Nobunaga – Agashino (1575) première bataille moderne du Japon où Oda Nobunaga aligna 3 000 arquebusiers ce qui emporta la décision

    Un autre des lieutenants de Nobunaga, un homme parti du statut de simple fantassin, va le venger et prendre sa suite dans la transformation du Japon féodal en Etat centralisé. Toyotomi Hideyoshi va être le véritable fossoyeur de la société féodale en préparant le terrain pour le dernier shogunat, celui des Tokugawa, dans une période intermédiaire appelée Momoyama, d'après le lieu où il avait bâtit son château. Pas plus que Nobunaga pris de court, Hideyoshi ne deviendra Shôgun, l'empereur ne pouvant accorder ce titre militaire à un homme qui n'était pas samouraï. Mais il l'est plus ou moins de fait et devient, en 1585, Kanpaku (régent de majorité), comme naguère les Fujiwara. Il deviendra Taikô (régent retiré) une fois qu'il aura achevé de soumette le pays, en 1592, en abandonnant le rôle de Kanpaku à son neveu. Pour montrer son attachement à l'empereur, il ne s'éloigne pas trop de la cour et fait restaurer le temple d'Osaka, détruit par Nobunaga, pour y installer son gouvernement militaire. En 1587, il obtient la soumission du clan Satsuma, au Sud de Kyûshû, et s'assure ainsi de tout l'Ouest du Japon. Trois ans plus tard, c'est le tour du plus grand domaine du Kantô, ce qui place aussi l'Est et le Nord sous son autorité.

    Le pays maintenant placé sous un commandement unique va connaître une période de paix qui ne va pas aller sans poser de nouveaux problèmes. Hideyoshi se retrouve à la tête d'une armée pléthorique dont il ne sait trop quoi faire et va donc décider de l'envoyer conquérir la Chine. Il ne pourra évidemment pas mener à bien cette entreprise insensée et arrivera tout au plus à ravager la Corée, où, face aux armée chinoises arrivées en renfort, il s'installera pour quelques années. Sa mort naturelle, en 1598, mettra un terme à l'aventure.

Toyotomi Hideyoshi – Bataille de Yamazaki où Toyotomi Hideyoshi vengea Oda Nobuna et assura son pouvoir sur le Japon

Toyotomi Hideyoshi – Bataille de Yamazaki où Toyotomi Hideyoshi vengea Oda Nobuna et assura son pouvoir sur le Japon

    La main passe à son principal vassal, Tokugawa Ieyasu, qui avait été aussi le bras droit de Nobunaga, lequel avait établit son quartier général, pas très loin de Kamakura, dans le petit village d'Edo.  En 1600, à la bataille de Sekigahara il va infliger une défaite décisive à ses rivaux coalisés. Cette bataille, à laquelle Musashi Miyamoto aurait pris part contre Tokugawa Ieyasu, s'est déroulée pendant vingt quatre heures sous la pluie et a été longtemps très incertaine mais néanmoins décisive. On l'appelle aussi Tenka Wakeme no Kassen (la bataille qui décida de l'avenir du pays) car elle marque à la fois la sortie définitive du Senkokujidai (l'époque des provinces en guerre), la fin de l'époque intermédiaire qu'était Momoyama et le début de l'époque Edo, une longue période de paix qui va servir de transition entre le Japon féodal proprement dit et le Japon moderne de Meiji.

Tokugawa Ieyasu seigneur de guerre – Bataille de Sekigahara (la bataille qui décida de l'avenir du pays)  –  Tokugawa Ieyasu Shôgun

Tokugawa Ieyasu seigneur de guerre – Bataille de Sekigahara (la bataille qui décida de l'avenir du pays) – Tokugawa Ieyasu Shôgun

L'époque d'Edo : le shogunat des Tokugawa

    Comme avant lui Yoritomo, Ieyasu va bien se garder de placer son pouvoir dans les parages de la cour impériale. Il installe sa capitale, près de son château, à Edo, qui va devenir d'abord une imposante forteresse et finalement la plus grande ville du Japon et même du monde, avec un million d'habitants. Cette troisième ère shogunale est un subtil mélange de modernisme et de conservatisme. La structure politique du pays à la fin du 16ème siècle va être conservée par le maintien des fiefs (Han) sur lesquels va, en revanche, être exercée une étroite surveillance.

    Le régime repose sur une stricte hiérarchie pyramidale. Au sommet se trouve les Daimyô apparentés aux Tokugawa avec,  juste en dessous, les Daimyô vassalisés qui ont combattu aux côtés d'Ieyasu pour la victoire. Ces Daimyô, dit "de l'intérieur, fournissent les cadres de l'armée et de l'administration et détiennent les fiefs du Japon central, du Kantô et du Kansai, qui servent de glacis au pouvoir shogunal et concentrent le dynamisme économique du pays. Viennent ensuite les Daimyo, dit "de l'extérieur", ralliés après la bataille de Sekigahara, qui détiennent les fiefs les plus éloignés, mais aussi les plus importants dont les revenus additionnés dépassent ceux du Shôgun. Tous les Daimyô, dont les moindres ont 100 000 Koku de revenu, diposent, bien sûr, de leurs propres samouraïs et même parfois de vassaux. Les samouraïs du Shôgun, comme ceux de leurs vassaux, sont divisés en deux catégories, comme les vassaux eux-mêmes. Au-dessus se trouvent les Hatamoto ou porte-étendard, qui ont contribué à la victoire, et en dessous, tous les autres, les Gokenin, ou gentilshommes de la maison, dont le revenu est parfois inférieur 100 Koku. Tous ces gens d'épée forment ensemble la noblesse, représentant 7% d'une population totale d'environ trente millions, stable de la fin du 16ème siècle à la fin du shogunat. Pour 85%, la population se compose de paysans qui produisent quelque 26 millions de Koku de riz, dont 7 millions sont prélevés par le Shôgun. Dans les 8% restant, on trouve les artisans, les marchands et les marginaux : rônins, geishas, saltimbanques, etc.

Vue d'Edo – L'ukiyo-e (image du monde flottant) un mouvement artistique emblématique de l'époque d'Edo – La rue à Edo – Le mont Fuji symbole du Japon moderne

Vue d'Edo – L'ukiyo-e (image du monde flottant) un mouvement artistique emblématique de l'époque d'Edo – La rue à Edo – Le mont Fuji symbole du Japon moderne

    Le modernisme du régime va se manifester dans le contrôle exercé sur les Daimyô, autrefois touts-puissants dans leur fief. Ils sont surveillés par une catégorie de fonctionnaires crée spécialement pour eux. En outre, ils sont convoqués périodiquement à Edo pour y effectuer des travaux d'intérêt général. Il est même instauré un régime dit "de résidence alternée" qui les oblige à passer une année sur deux à Edo et d'y laisser en permanence femme et enfants. De ce fait une surveillance attentive s'exerçait sur les accès de la capitale. Les Tokugawa font aussi surveiller étroitement la cour de Kyôto, pourvue cependant d'une généreuse liste civile, et innovent en matière de police secrète dans tous les domaines, ce qui explique qu'ils aient facilement trouvé des emplois aux survivants de la bataille d'Iga. Evidemment ces constants déplacements avec toute leur suite étaient une source de dépenses importantes pour les Daimyô, et renforçait leur dépendance du pouvoir autant que la prospérité de la capitale. Le Tôkaidô, la route reliant Edo à Kyôto était constamment encombrée de ces équipages pittoresques.

    Lorsque le Japon de Shôtoku Taishi avait tenté d'adopter le modèle chinois, la tentative avait capoté notamment à cause du manque de personnel qualifié pour mettre sur pied véritablement une administration centrale. Un millénaire plus tard le problème se pose dans termes tout différents car une vraie tradition bureaucratique s'est développée entre-temps. Malgré le contexte féodal, il existait une multitude de fonctionnaires pour faire tourner la machine shogunale et leur recrutement laissait une certaine part au mérite. Des gouverneurs civils allaient par paire en tournée d'inspection et les décisions finales étaient collectives. De plus, les Daimyô reproduisaient dans leurs fiefs l'administration shogunale en miniature, leurs règlements étaient calqués sur les lois shogunales et même leurs capitales étaient des répliques d'Edo.

    En fait, Tokugawa Ieyasu a repris la politique centralisatrice d'Hideyoshi, lancée par Nobunaga, mais avec un esprit différent. "Il expérimenta dans ses provinces nouvellement acquises du Kantô un principe de répartition des terres qu'il étendit ensuite à tout le Japon. Il délimita quatre parties : un domaine sous administration directe autour d'Edo ; des fiefs réservés aux vassaux venus du Tôkaidô, à proximité ; d'autres confiés à ses fils, futures branches des Tokugawa ; d'autres plus éloignés, laissés aux anciens vassaux des Hôjô. Entre ces catégories de dépendants, un strict cloisonnement, qui impliquait un équilibre. Il fallait donc réduire les interventions étrangères dans ce système. Appliquée au Japon, la conception de Ieyasu portait en elle la logique de l'isolement. Elle réalisait un milieu de caractère international dans les limites de l'archipel. Au contraire, la politique d'union fédérale, tentée par Hideyoshi, impliquait un affrontement avec l'étranger." (3)

Les Ninja (agent secret) étaient les survivants des communes d'Iga et de Koga que Tokugawa Ieasu avait recruté – Edo, le shogunat des Tokugawa – Un Ninja en action

Les Ninja (agent secret) étaient les survivants des communes d'Iga et de Koga que Tokugawa Ieasu avait recruté – Edo, le shogunat des Tokugawa – Un Ninja en action

    Les Tokugawa vont aussi créer une société à quatre échelons de type confucianiste et établiront une séparation nette entre les Bushi (les gens d'épée) qui devaient porter deux sabres, et le reste de la population composée de neuf dixièmes de paysans. En outre, ils vont encourager systématiquement l'étude du confucianisme. Cette philosophie, qui affirme une identité entre nature et société et prône le respect de la hiérarchie et la vertu dans la loyauté, paraît en effet idéale pour assurer le maintien du régime shogunal. Elle va servir de base au Bushidô qui restera non-écrit jusqu'au 19ème siècle.

    Le bouddhisme demeure, malgré tout, la religion dominante et dans la classe des guerriers le Zen va conserver une certaine aura pour la recherche de l'excellence et le mépris de la mort, tout en laissant le confucianisme définir l'éthique sociale. La fameuse légende des 47 Rônin exprime parfaitement cet état d'esprit. Les événements prennent place entre 1701 et 1703. Pour venger l'honneur de leur maître ces samouraïs se révoltent contre l'autorité et méritent donc la mort, mais comme leurs raisons d'agir étaient nobles, elle sera honorable, par Seppuku. Et leur fidélité à leur suzerain, parfaite illustration des valeurs confucéennes, leur vaudra de devenir des héros nationaux (voir l'article : Le Chrysanthème et le Sabre).

    Le pouvoir des Tokugawa se montre positif dans bien des domaines, il garantit la stabilité des institutions dans un pays pacifié. Mais déjà au 17ème siècle il apparaît comme rétrograde et il va figer le Japon dans un système immuable pendant deux siècles et demi. Pour protéger le système, le maître mot est "fermeture". Ainsi le régime, à la suite d'Hideyoshi mais au contraire de Nobunaga, va-t-il se mettre à persécuter les chrétiens considérés comme de dangereux agents de l'étranger. Et, dans le même esprit, le Japon va être presque totalement fermé à tout contact extérieur. Mais, sous la chape de plomb d'un pouvoir qui se conserve identique à lui-même, le pays continue malgré tout d'évoluer tandis que le monde extérieur vit au rythme de la révolution industrielle. C'est de là que viendra la fin !

Confucius – Légende et thème littéraire, les 47 Ronins se situaient à mi-chemin entre l'éthique confucéene et le Zen – Représentation des divers courants du bouddhisme

Confucius – Légende et thème littéraire, les 47 Ronins se situaient à mi-chemin entre l'éthique confucéene et le Zen – Représentation des divers courants du bouddhisme

    Les Américains veulent plus que quiconque l'ouverture des ports japonais pour que leurs navires puissent s'y ravitailler. Devant l'attitude réfractaire du shogunat ils recourent à une manifestation de force en envoyant l'amiral Perry croiser avec son escadre dans la baie de Tôkyô en 1853. Il lance un avertissement et promet de revenir l'année suivante. Le shogunat comprend que le Japon est totalement désarmé face à la marine à vapeur et, dans son désarroi, demande l'avis de l'empereur,  pour la première fois depuis des siècles. Cette erreur va précipiter sa chute, car ce dernier, qui voit les choses de loin, lui enjoint de repousser les étrangers. Si bien que lorsque Perry revient, le Shôgun n'a d'autre ressource que de lui céder en désobéissant à l'empereur, ce qui le va le déconsidérer totalement aux yeux de tous les Japonais.

    Déjà, depuis le début du 19ème  siècle, de nombreux Daimyô, les moins proches du pouvoir, souhaitaient secrètement  la restauration du pouvoir impérial et l'abandon du système qui maintenait le Japon à l'écart du développement. Après l'expédition de Perry, ce courant, soutenu par l'Occident, va faire s'écrouler le shogunat comme un château de carte. Et, le 9 novembre 1867 Yoshinobu, le dernier Shôgun en titre va remettre tous ses pouvoirs à Mutsu Hito, l'empereur Meiji, âgé de quinze ans et vivant dans un gynécée. L'époque d'Edo avait un pied dans la féodalité, par la structure du pouvoir, et un pied dans la modernité avec le centralisme. La Restauration Meiji, qui va convertir les fiefs en préfectures, va faire basculer définitivement le Japon dans le modernisme, c'est sans doute pourquoi elle est aussi qualifiée de "révolution". Mais le versant révolutionnaire de Meiji, n'est pas sans rappeler la "révolution de palais" de l'ère Taika, car c'est une révolution qui ne vient pas du peuple mais d'une couche inférieure de l'aristocratie, qui parvint, à la fois, à éliminer l'ancien gouvernement sans effusion de sang et à lui succéder sans soutien populaire.

L'expédition du Commodore Perry prélude à la restauration-révolution Meiji et à l'ouverure du Japon – Le Japon de Meiji  – L'empereur Meiji et l'impératrice Shoken

L'expédition du Commodore Perry prélude à la restauration-révolution Meiji et à l'ouverure du Japon – Le Japon de Meiji – L'empereur Meiji et l'impératrice Shoken

(1) Histoire du Japon et des Japonais, des Origines à 1945 - Edwin O. Reichauer, Ed. du Seuil, p. 69
(2) C’est ainsi que commence le premier chapitre, intitulé : “Le Lever de Rideau”, dans “Le Monde à l’Envers” - la Dynamique de la Société médiévale”, par Pierre Souyri - Ed. Maisonneuve et Larose, 1998
3) Histoire du Japon des Origines à Meiji - Michel Vié, PUF, ASJ n° 1328, p. 86-7

Choix des Illustrations
Frédéric Sausse

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